Une étude importante, parue dans Nature, apporte un éclairage nouveau sur le rôle du CO2 pendant les cycles glaciaires.
Il s'agit de:
"Global warming preceded by increasing carbon dioxyde concentrations during the last deglaciation"
par:
Jeremy D. Shakun1,2, Peter U. Clark3, Feng He4, Shaun A. Marcott3, Alan C. Mix3, Zhengyu Liu4,5,6, Bette Otto-Bliesner7, Andreas Schmittner3 & Edouard Bard8
Lorsqu'on utilise la température de l'Antarctique comme proxy de la température globale on constate que la teneur en CO2 varie, lors des cycles glaciaires, avec un certain retard par rapport à cette "température globale" ainsi définie.
Le mécanisme proposé étant, schématiquement, le suivant:
variations orbitales => variations de température (via albédo) => variations de la teneur en CO2 => amplification de la variation de température.
Dans cette conception des choses, donc avant Shakun 2012, le CO2 n'est qu'un agent contributif, intermédiaire, certes important, des variations de température pendant les cycles glaciaires.
D'après l'étude il semble que le processus soit plus complexe et que, finalement, c'est la température globale qui suit le CO2.
Ce point est fondamental et renforce, à l'évidence, le rôle du CO2 comme driver principal du climat pendant les périodes glaciaires.
reconstruction de la température globale
C'est la première fois qu'on peut voir aussi clairement, du moins à ma connaissance, une reconstruction, à partir de proxies, de la température globale pendant une phase de cycle glaciaire (ici la dernière déglaciation).
Il est à noter cependant, qu'en l'absence de proxies dans les zones couvertes par les inlandsis, cette température globale est quelque peu biaisée mais représente sans doute relativement bien une très large zone du globe, en gros de 60°N à 60°S soit plus de 80% de la surface terrestre.
Les proxies
La base de données utilisée dans cette étude est composée de 80 enregistrements de température dérivés des alkénones (32), de foraminifères planctoniques Mg/Ca (26), d'assemblages de microfossiles (6), de teneur en isotopes stables de carottes glaciaires (6), de pollens (4), de TEX86 (4), et de MBT/CT (2) voir tableau 1.
Seuls les enregistrements à haute résolution (<500 ans) sont utilisés.
67 sont datés par carbone 14, 6 sont issus de carottes glaciaires datées par comptage des couches et/ou modèle glaciologique, 4 sont datés par combinaison de radiocarbone et tuning de comptages de couches….."
Comme on peut le voir sur la carte des emplacements (figure 1) et suivant la nature de ces proxies (alkénones et foraminifères) une majorité sont marins et donnent ainsi une indication des températures de surface des océans (SST).
Ces emplacements, en outre, permettent une bonne représentation de la température globale "récente", comme indiqué sur ce graphe.(figure S11 suplementary information)
Les méthodes de traitement de ces proxies, notamment la standardisation et la datation sont décrites dans le supplément.
On peut avoir une idée du proxy alkénone (méthode UK'37) ici.
comparaison température globale, antarctique, et teneur en CO2
La figure 2a montre une légère avance de la température antarctique (en rouge) sur la teneur en CO2 (ronds jaunes) et un retard de la température globale (en bleu) sur ce même CO2.
La fig 2b montre que les choses sont différentes suivant les hémisphères puisque la température de l'hémisphère sud est en avance sur le CO2, alors que c'est l'inverse pour l'hémisphère nord.
Globalement cependant il y a bien retard de la température sur le CO2 et on notera que l'avance, pour l'hémisphère sud est plus diffuse que le retard ne l'est pour l'hémisphère nord.
mécanisme proposé
On peut résumer le processus ainsi:
Le changement orbital provoque une augmentation de l'insolation sur les hautes latitudes de l'hémisphère nord occupées par des inlandsis.
Au tout début de ce changement des masses de glace fondent en engendrant une baisse dramatique de la circulation océanique atlantique méridienne (AMOC) par invasion d'eau douce dans les zones de convection.
La baisse de l'AMOC provoque un réchauffement de l'hémisphère sud et surtout un changement profond du cycle de carbone qui libère alors du CO2 dans l'atmosphère.
Le forçage qui en résulte se manifestant de façon globale, réchauffe ainsi la planète dans son entier.
Ce réchauffement entraîne lui-même un changement du cycle du carbone qui amplifie le phénomène.
Globalement c'est donc le CO2 qui est le driver principal du réchauffement lors de la déglaciation.
D'un point de vue global, ce qui est assez nouveau, c'est que l'influence de la fonte des inlandsis semble être relativement faible par rapport à celle du CO2.
La figure 3 est révélatrice à ce sujet puisqu'elle montre que pendant les épisodes d'augmentation de température (Older Dryas et Younger Dryas) les inlandsis ne fondent que très peu alors qu'ils fondent plus dans l'Holocène alors que la température est constante.
Bien sûr les conditions locales doivent changer avec ces variations mais cela n'apparaît pas dans la température globale définie par les auteurs.
conclusion
Cette étude ne change pas réellement l'importance du CO2 en tant qu'agent radiatif.
Mais elle révèle que son rôle semble bien plus central et prépondérant qu'on ne le pensait auparavant.
Le mécanisme par lequel le CO2 devient cet agent prépondérant reste en grande partie inexpliqué.
Il est à peu près sûr qu'il fait intervenir l'AMOC comme déclencheur de perturbations du cycle du carbone .
Les auteurs suggérant simplement un changement au niveau de l'océan austral.
D'un point de vue plus politique à l'égard des sceptiques, cette étude détruit l'argument, imbécile par ailleurs, selon lequel un CO2 qui suit la température ne peut évidemment pas être à l'origine de ses variations.
Et, puisque la température varie "toute seule", comme une grande, par le simple fait de la variabilité climatique ou, quand on a de la chance, par l'effet du soleil, le réchauffement climatique actuel n'est, au mieux, qu'une chimère, au pire un affreux complot vert visant à empêcher la croissance économique....
D'un point de vue plus scientifique, le fait que la température globale de Shakun 2012 comporte de très nombreux points dans les basses latitudes, tend à prouver que la sensibilité climatique reste forte même en l'absence de rétroaction-glace locale.
En ce sens, cette période de déglaciation peut probablement de plus en plus servir d' "analogue" à la période actuelle.